Hubert Pierlot

pierlot

Homme d'Etat

Cugnon - Belgique, 23 décembre 1883 || Uccle - Belgique, 13 décembre 1963

Hubert Pierlot fit ses études moyennes à l’école abbatiale de Maredsous puis au collège Saint-Michel des Jésuites à Bruxelles. Docteur en Droit et Licencié en Sciences Politiques de l’Université de Louvain, il reste inscrit depuis 1908 jusqu’à sa mort au barreau de la Cour d’Appel de Bruxelles dont les membres l’élirent de 1932 à 1934 membre du conseil de leur ordre.

Le 4 août 1914 Hubert Pierlot s’engage comme volontaire. Il fait la guerre dans l’infanterie et la termine comme lieutenant au 30e Régiment de Ligne. Il en présidera la fraternelle dès sa fondation en 1926. Il était en 1940 capitaine-commandant de réserve dans le Régiment d’élite des Chasseurs Ardennais.

De février 1919 à décembre 1920 il a été chef de cabinet du premier ministre Delacroix.

Des élections de 1926 à celles de février 1946 il fut membre du sénat.

En janvier 1934 Charles de Broqueville lui confia le portefeuille de l’intérieur qu’il garde jusqu’en mars 1935.

Une réorganisation du parti politique auquel il appartenait lui valut d’avril 1935 à fin 1936 de présider l’Union Catholique.

En 1936 Paul van Zeeland lui confie le ministère de l’agriculture qu’il dirige jusqu’au 18 mai 1938.

En 1937 il provoque et préside le dernier des congrès de Malines, assemblée de tous les catholiques belges.

Le 20 février 1939 Hubert Pierlot devient premier ministre. Il assume le portefeuille des affaires étrangères du 20 février au 31 août et celui de la défense nationale du 20 octobre 1942 à septembre 1944.

En mai 1940 son gouvernement quitte le pays occupé. Il rentrera de Londres en septembre 1944. Il reste premier ministre jusqu’au 6 février 1945.

Dans la séance du 19 septembre 1944 les Chambres réunies acclamèrent longuement l’œuvre du gouvernement de Londres.

Du 17 septembre au 27 décembre 1950 il est assesseur à la section législative du Conseil d’Etat.

Nommé Ministre d’Etat le 3 septembre 1945, il avait été crée comte par un arrêté du Prince Régent daté de 1946.

Le samedi 17 novembre 1923 la conférence du jeune barreau de Bruxelles tient sa séance solennelle de rentrée. C’est pour le monde du palais un événement important. Le président de la conférence est Joseph Pholien, le bâtonnier est Jules Renkin. Dans la salle se trouvent des personnalités qui marquent bien que l’on est au tournant du siècle, des avocats de l’avant-guerre, des jeunes avocats belges, français, luxembourgeois dont les noms encore inconnus deviendront célèbres. L’orateur de rentrée est Hubert Pierlot.

Il y a la ce que Charles Maurras eût appelé des intersignes. Car le destin d’Hubert Pierlot allait s’inscrire dans d’autres voies. Il allait certes rester membre du barreau pendant cinquante-cinq ans. Sans doute eût-il souhaité y achever sa carrière. Revenu de la première guerre mondiale il ne pensait quitter un uniforme qu’il avait honoré que pour reprendre sa place à la barre. Mais Léon Delacroix qui allait être le premier chef du gouvernement à porter en Belgique le titre de premier ministre avait remarqué le jeune avocat qu’il avait eu comme stagiaire. Il lui demanda d’assumer la direction de son cabinet, lorsque le roi Albert lui confia le soin de présider à la reconstruction du pays. Ainsi commence une carrière politique. Elle aurait pu être celle d’un sénateur provincial. Les électeurs luxembourgeois ont gardé à Pierlot leur confiance depuis 1926 jusqu’en 1946. Elle aurait pu être celle d’un ministre qui lors de son passage au ministère de l’agriculture révéla une force de caractère suffisante pour pour renouveler par voie d’autorité le cadre supérieur de son département et faire appel à des collaborateurs jeunes. L’histoire qui déroulait son fil parallèlement à la carrière d’Hubert Pierlot en décida autrement.

Son parti qui cherchait entre les deux guerres la forme qu’il devait adopter pour rester pluraliste, tout en gardant à sa tête une autorité ferme, lui avait confié ka présidence d’une des phases par lesquelles il passa. Le président de l’Union Catholique allait être ministre, puis premier ministre.

Ce premier ministre allait être celui de la crise économique, celui de la montée des périls, celui du rexisme, celui de la guerre, celui enfin du drame royal.

Le parlement lui confia d’emblée les pleins pouvoirs pour lutter contre la montée du rexisme. Déjà l’élection de Paul van Zeeland à Bruxelles avait cassé les reins à la poussée totalitaire. Les pleins pouvoirs devaient aussi permettre au premier ministre de chercher remède à l’angoissante crise économique et financière. Au lendemain de sa mort, Marcel Grégoire, ancien ministre de la justice et qui fut de ses collaborateurs, écrivait dans le journal Le Soir : « Qu’on interroge ceux qui ont le privilège de travailler avec le comte Pierlot non seulement Camille Gutt, Auguste de Schryver, et Paul Henri Spaak, ses bons et solides amis, mais ses collaborateurs plus proches les trois André, André de Staercke, André Molitor et André Vaes, Pierre d’Ydewalle, Daniel Ryelandt et tant d’autres qui à l’agriculture, à l’intérieur, à la défense nationale, ou dans les services du premier ministre furent à ses côtés. Tous, contre vents et marées, lui restèrent attachés. Tous aujourd’hui le pleurent et vénèrent sa mémoire. Car il possédait cette essentielle vertu du chef qui est de faire confiance, de confier des responsabilités, d’apprécier un travail bien fait et d’être ouvert aux suggestions comme aux mises en garde. Sa conscience professionnelle était proverbiale, comme avocat n’abandonnant un dossier qu’après l’avoir fouillé dans ses recoins les plus secrets, comme parlementaire d’une assiduité exemplaire et d’une capacité de travail fréquemment mise à contribution, comme homme d’état enfin. Quand l’histoire se remémorera sa physionomie d’homme public elle retiendra ses traits les plus saillants : le courage, le sens du devoir, la puissance inflexible de sa volonté ».

En vérité, à la veille du drame de 1940, le premier ministre Hubert Pierlot est estimé par ses collègues. Son parti le suit presque généralement, malgré sa division en groupes sociaux appelés « standen », représentatifs des classes moyennes, des milieux agricoles, des syndicats, etc. Mais il n’a pas pris encore la figure d’un homme politique dont l’histoire allait mettre le nom dans ses titres. Pourtant ce qui sera sa caractéristique au moment où cette histoire l’attendra dans l’orage, apparaît à travers sa personnalité. En 1935 ministre de l’intérieur il est en désaccord avec son premier ministre sur un projet qu’il n’estime pas satisfaisant. Il lui écrit : « Rien ne ruine davantage le crédit moral d’un gouvernement ou d’un homme que de rester sur une équivoque ».

La guerre qui vient va lui donner des responsabilités auxquelles, parce qu’il est moralement solide, planté sur des certitudes et incapable de faire quelques concessions que ce soit là où il croit avoir vu son devoir, il fera face. La même histoire dira demain là où il a eu raison et là où il a eu mort. Mais lui, à ce moment, est parfaitement indifférent au jugement que peuvent porter sur lui ceux qui ne regardent que le présent. Le 13 octobre 1937 le Reich nazi avait déclaré que la Belgique était entièrement à l’abri de ses ambitions et que même elle pouvait compter sur son concours le jour où elle serait l’objet d’une agression. Le patrouilleur de 1914-1918 n’a pas accordé grand crédit à cette promesse. La politique d’indépendance dont son gouvernement avait hérité voulait que la Belgique s’efforçât jusqu’au dernier moment de n’avoir avec aucun des belligérants probables un lien qui créât chez elle une obligation. Mais pour cela il fallait qu’elle fût forte et apte à se défendre de quelque côté que la menace pût venir. Le 10 mai 1940 Paul-Henri Spaak son ministre des affaires étrangères recevait – ou plutôt refusait de recevoir – dans des termes qui sont entrés dans l’histoire, l’ultimatum que lui remettait un ambassadeur allemand honteux de la triste mission que le régime nazi lui imposait.

C’ était la guerre. Ce fut tout de suite le drame. Drame entre la conception que le roi Léopold, chef de l’Etat, avait de son devoir de commandant en chef et la conception que ses ministres, et surtout Hubert Pierlot, avaient de son devoir de chef d’état. Aussi le parlement ne connut il pas les heures bouleversantes du discours d’Albert Ier au mois d’août 1914. Le pays s’engagea dans une défense dont l’issue dépendait de l’assistance de ses garants. La déroute française qui suivit la percée de Sedan le 14 mai obligea le gouvernement à évacuer Ostende, le 17, et à se réfugier en France, Pierlot, Spaak, Van der Poorten et le général Denis demeurant toutefois à Bruges aux côtés du Roi. Il est étrange de retrouver dans le comportement des hommes de 1940 et dans vingt domaines différents l’obsession de l’exil à Sainte-Adresse de la première guerre. Vint le 25 mai, le tragique entretien du château de Wynendaele entre le Roi, son premier ministre et le ministre des affaires étrangères et la constatation du caractère inconciliable des deux positions. Vint le 28 la capitulation du Roi commandant en chef militaire. Puis il y eut Limoges et cette assemblée de parlementaires que le bon sens et le sang-froid d’Hubert Pierlot et de quelques-uns de ses amis empêchèrent de proclamer la République et la déchéance du Souverain.

Le 17 juin, le maréchal Pétain, en sa nouvelle qualité de président du Conseil, annonçait que le gouvernement français avait demandé un armistice à l’Allemagne. Dans le désarroi provoqué par cet effondrement, le gouvernement Pierlot lia le sort de la Belgique à celui de la France et limita désormais sa tâche d’une part à la conclusion d’un armistice, d’autre part au rapatriement de tous les Belges qui se trouvaient en France soit comme militaires, soit au nombre de quelque deux millions comme réfugiés considérés dans les villes et villages tantôt comme des victimes tantôt comme des déserteurs de la causa alliée. Le Roi en fut informé mais estima que son sort de prisonnier de guerre ne lui permettait pas d’exprimer d’avis. Les autorités allemandes laissèrent sans suite les ouvertures belges et, le 18 juillet, interdirent le retour des ministres au pays occupé. Les attributions de Marcel-Henri Jaspar, ministre de la santé publique, lui avaient été retirées le 24 juin à la suite de son brusque départ pour Londres sans qu’il eut prévenu son collègues. Albert de Vleeschauwer, ministre des colonies, nommé administrateur général de la Colonie, était parti le 18 juin pour Lisbonne. Le gouvernement Pierlot, affaibli et démoralisé, s’installe à Vichy. Le 2 août, répondant aux instances de de Vleeschauwer, Pierlot, Spaak et Gutt le rencontrèrent à la frontière franco-espagnole. Ils conviennent que de Vleeschauwer et Gutt s’installeront à Londres où Pierlot et Spaak les rejoindraient le plus tôt possible. Le 20 août, dans une note transmise au Roi, Pierlot constate que la pression allemande exercée sur la France y rend toute action gouvernementale impossible pour la Belgique. De Vleeschauwer et Gutt sont depuis le 8 août installés à Londres. Le 28 août, Pierlot et Spaak quittent Vichy à destination des Etats-Unis, ultérieurement de l’Angleterre, leurs collègues restant en France donnant leur démission. Les autorités espagnoles les arrêtent à la frontière et les gardent en résidence surveillée à Barcelone, d’où ils s’évadent le 19 octobre. Ce fut une aventure. Les deux ministres traversèrent la péninsule dans le double fond d’une camionnette appartenant à un industriel belge d’Espagne, Auguste Hubert.

A Londres le War Cabinet reprit tout de suite la direction de la part civile et militaire de la Belgique dans la guerre. Ce sont des années d’épreuves. Les querelles ne manquèrent point dans l’émigration. Elles ne manquèrent point non plus en Belgique occupée. Le cabinet Pierlot fut renforcé par l’arrivée à Londres de trois ministres évadés de France et un quatrième, Antoine Delfosse, arrivé clandestinement de Belgique, ainsi que par la nomination de cinq sous-secrétaires d’état le 3 septembre 1943. Spaak a souligné l’heureux effet de l’amitié et de la solidarité qui, durant ces années, l’unirent, Gutt et lui, au premier ministre Pierlot. Hubert Pierlot, qui détint pendant un certain temps le portefeuille de la défense nationale, mit tout en œuvre pour qu’au jour d’un débarquement, dont il ne doutait pas, le drapeau de la Belgique fût parmi les drapeaux alliées et les uniformes belges parmi ceux de la libération. En attendant il prit aussi les responsabilités de la guerre secrète et de la résistance, s’efforçant de concilier les tendances de droite et de gauche qui se partageaient les mouvements clandestines. Les épreuves personnelles ne lui furent pas épargnées. Quelques jours après son arrivée en Grande-Bretagne, un des derniers bombardements de la bataille de Londres écrase l’Hôtel Carlton, tuant à ses côtés un haut fonctionnaire du ministère des colonies. Plus tard deux de ses fils devaient trouver une mort tragique tandis qu’ils s’efforçaient de sauver leurs compagnons d’accident dans un wagon en feu d’un train qui les ramenait à Londres.

Le maintien du Congo dans la guerre et l’apport considérable de la colonie à l’effort interallié – l’uranium venait de l’Union Minière – la création le 5 septembre 1944 du Benelux s’ajoutent aux services qu’il a rendus à son pays depuis qu’en 1940, à Limoges, il a écarté la perspective républicaine.

Mais depuis le début de la guerre, juriste et patriote, le premier ministre du gouvernement de Londres s’efforçait de faire en sorte que la reprise de la vie normale se fît lorsque la Belgique serait libérée de l’occupation sans que le conflit de 1940 et des années suivantes entre le Roi et son gouvernement continue à diviser le pays. Diverses tentatives de contact avaient échoué. En 1943 François De Kinder, beau-frère du premier ministre, fut à son tour parachuté en pays occupé avec mission d’amorcer une procédure de réconciliation. François De Kinder ne fut pas reçu par le Roi, fidèle à son état de prisonnier. Une nouvelle épreuve attendait Hubert Pierlot. François De Kinder, que la proximité des opérations de débarquement bloquait à Paris, fut capturé par la police d’occupation. Il devait périr abattu dans un tunnel de chemin de fer proche de Verdun pendant une opération d’évacuation des prisonniers de la police allemande à la veille de la libération de Paris.

Bruxelles fut libérée dès les premiers jours de septembre 1944. Le gouvernement revint immédiatement dans la capitale. Le 13 septembre le parlement accueillait dans un enthousiasme délirant le gouvernement et son chef. Mais le Roi était prisonnier et dans l’état constitutionnel d’incapacité de régner. Le gouvernement organisa la régence du Comte de Flandre, frère de Leopold III. Le Régent fit Hubert Pierlot ministre d’état en puis comte.

Une tentative de gouvernement avec les communistes fut de courte durée. Lorsque le pays fut entièrement libéré, des élections purent être organisées en février 1946, elles marquèrent la fin de la vie publique d’Hubert Pierlot.

L’ovation du parlement en septembre 1944 a été le dernier témoignage de gratitude de la nation au premier ministre de guerre. Cet hommage a été à peu près le seul qui lui fut rendu.

Ce que l’on a appelé l’affaire royale est né au moins chronologiquement d’événements dont plus d’un reste à expliquer. Le secrétaire du Roi avait publié une version des événements de 1940 qui ne correspondait ni au souvenir ni au jugement de l’ancien premier ministre. Celui-ci rompit le silence qu’il avait gardé jusqu’alors et dont il devait dire plus tard à Jean Fosty, futur sénateur et alors journaliste, qu’en tout cas il le garderait partout où l’on ne l’obligerait pas à parler. Le journal Le Soir publia une série d’articles d’Hubert Pierlot à l’occasion desquels la querelle rebondit.

Le 27 novembre 1947 les premiers membres du Conseil d’Etat crée par Pierre Vermeylen, ministre de l’intérieur, prêtèrent serment. La loi avait permis que les cinq premières nominations d’assesseur de la section de législation ne soient pas soumises aux conditions de présentation qui avaient été prévues pour cette fonction. Le premier entre eux, désigné par le ministre de l’intérieur, fut le comte Hubert Pierlot. Pendant les trois années d’activité que son âge lui permettait encore, Hubert Pierlot fut alors conseiller juridique à la section de législation juridique à la section de législation du Conseil d’Etat.

Les jugements le plus divers et les plus contradictoires ont été portés sur cet homme. Ce que l’on peut dire avec certitude c’est que ce fut un grand honnête homme. Patrouilleur de 1914-1918, sénateur appliqué, rapporteur intelligent de pas mal de budgets et de projets, chef de gouvernement préoccupé uniquement de suivre les leçons de sa conscience, Hubert Pierlot passait pour froid, distant, timide. En vérité le président du sénat, Paul Struye, qui avait été son compagnon dans un gouvernement et son associé dans la résistance patriotique, a fort bien dit que ce qui lui manquait c’était cette forme de « bon garçonnisme parlementaire » qui fait les réputations faciles. Beaucoup lui ont dénié toute forme d’humour. Tous ceux qui ont collaboré avec lui savent qu’il abordait toujours les problèmes d’une manière originale et gaie et que les jugements qu’il portait sur les hommes n’étaient jamais dépourvus d’humour. Sans doute manquait-il d’une certaine facilité de communication dans ce domaine particulier. Mais on peut dire que les caractéristiques marquantes de ce destin et de cet homme sont assurément la fidélité appuyée sur le courage et sur un sens exceptionnel de la primauté de l’état.

Source : © William Ugeux – Biographie Nationale.